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lundi 14 août 2017

L'histoire a-t-elle un sens? / Is History following a pattern?


Technical progress and human evolution of societies towards more democracy and recognition of civil rights gave the perception that History is following a pattern, leading to the best possible society. For a long time it was thought that the progress of science and economy went hand in hand with moral progress. The omnipresence of violence during the past was considered as the result of the obscurantism of previous eras. The tragedies of the twentieth century have shown however that civilization is not a safe bulwark against barbarism.  History went brutally from a sense oriented toward a bright future to the nonsense of the Shoah. Instead of considering History as an arrow pointing toward the future, past civilizations understood the course of time as cyclic. In societies that seemed immutable to the scale of a generation, there was no continuous progress, nor any irreversible transformation. In ancient India, time was represented as a wheel that constantly brings back the seasons, happiness and unhappiness, life and death. For the Aztecs, the world was following an unchanging path, governed by three complex calendars, sacred, solar and Venusian. The arrow of time appears in the religions that are expecting the last day of creation. At the time of the Renaissance appeared hope to transform the world by the use of reason. For the Enlightenment philosophers, the Reason guides humanity toward "the destruction of the inequality between nations, the progress of equality in a same people and finally the real development of man", as announced by Condorcet. This new era had not yet occurred, but Kant was convinced to live during a century on the way toward Enlightenment. Hegel saw history as the march of the Spirit. Wars and tyranny were the tricks of Reason for achieving its ends. History was following a dialectic process that would lead at  a new form of State. The idea of a dialectical progression of History was endorsed by Marxism. Matter replaced the Spirit, but history was guided, through the class struggle, toward its inevitable fulfillment, the classless society. Dialectic materialism, presented as a scientific truth, was even part of the Marxist dogmas.  The fall of the Soviet bloc and the transition to the market economy in China have sounded the death knell of this illusion. After the fall of the USSR, Francis Fukuyama announced the End of History, because only the liberal system remained in place. History itself, disappeared to the benefit of the economy. The world, free of political power, would be able to progress towards more complexity and perfection by self-organization, ensuring the happiness of humanity. The events occurred in the world since the end of communism in the Soviet Union have not confirmed such a prediction, which sounds like a new illusion. History continues without end, through conflicts and multiple upheavals, while the future is more uncertain than ever.
The notion of a continuous progress is thus questioned. The terrible errors which the XXe century witnessed contributed to discredit the idea that History is following a predetermined pattern. Thus, the concept of Progressivism long claimed by the Left is now worn out. Past history shows that no evolution continues indefinitely, but follows directions  constantly fluctuating. Based on a statistical analysis of the evolution over time of different forms of expression in the fields of architecture, visual arts, music, literature and philosophy, the sociologist Pitirim Sorokin observed alternating periods of materialism and spirituality. Thus, in ancient Rome, during the Imperial period, a materialistic vision of the world succeeded to a culture that was highlighting the virtues of the Roman Republic. In 1937, Sorokin already foresaw a major crisis of the materialistic civilization, which had developed in the West since the Renaissance. According to him, the crisis affected not only the economic system, but the whole of society. Therefore, he called for a spiritual renewal. Getting out of the crisis in which materialism locked up the West, however involved passing through a difficult period, to which Sorokin referred by using the apocalyptic terms of dies irae.

Le progrès technique et l’évolution des sociétés vers plus de démocratie et de reconnaissance des droits de la personne humaine ont pu faire croire qu’il existe un sens de l’histoire. Pendant longtemps on a pensé que les progrès de la science et de l'économie allaient de pair avec un progrès moral. Le passé historique témoignait des violences dont l’humanité était capable, mais ces exactions étaient perçues comme un résultat de l’obscurantisme des époques antérieures. Les tragédies du XXe siècle ont montré toutefois que même des nations considérées comme hautement civilisées sont capables de faire preuve de comportements monstrueux et que la civilisation ne constitue donc pas un rempart totalement sûr contre la barbarie. Dès lors, l’avènement d’un monde meilleur n’est plus assuré. L’histoire est ainsi passée brutalement d’un sens orienté vers un avenir lumineux au non-sens de la Shoah. Les civilisations les plus anciennes concevaient le déroulement du temps sous une forme cyclique. Dans des sociétés qui paraissaient immuables à l’échelle d’une génération, rien ne permettait de concevoir un progrès continu, ni une flèche du temps, générant une transformation irréversible. Dans l’Inde ancienne, le temps était représenté par une roue qui ramène constamment les saisons, le bonheur et le malheur, la vie et la mort. Pour les Aztèques, le monde suivait un déroulement immuable, régi par trois calendriers complexes, sacré, solaire et vénusien, juxtaposant des cycles différents qui s’engrenaient entre eux indéfiniment. La flèche du temps apparaît dans les religions qui situent au jour dernier l’accomplissement du salut. Au moment de la Renaissance est apparu l’espoir de pouvoir transformer le monde par l’usage de la raison. Pour les philosophes des Lumières, la raison guide l’humanité vers le progrès, ainsi que « la destruction de l’inégalité entre nations, les progrès de l’égalité dans un même peuple, enfin le perfectionnement réel de l’homme », comme l’annonçait Condorcet. Cette ère nouvelle n’était pas encore advenue, mais Kant affirmait sa conviction de vivre « dans un siècle en marche vers les Lumières». Hegel voyait dans l’histoire, la marche de l’Esprit vers le Savoir absolu. Les guerres et la tyrannie n’étaient que des ruses de la raison pour lui permettre d’arriver à ses fins. Le mouvement de l’histoire allait conduire, à travers un processus dialectique, à l’avènement de l’Esprit, s’incarnant dans une nouvelle forme d’État. L’histoire avait un sens, celui que lui conférait un progrès technique et social continu. Cette idée d’une progression dialectique de l’histoire a été reprise par le marxisme. Suivant les thèses du matérialisme dialectique, la Matière remplaçait l’Esprit, mais l’histoire restait guidée, à travers le mouvement de la lutte des classes, vers son accomplissement inéluctable, la société sans classes. Le matérialisme dialectique, conçu comme une vérité scientifique, faisait même partie des dogmes de l’idéologie marxiste. Les aléas de l’histoire ont toutefois ébranlé un tel concept, même si l’espoir d’un monde meilleur demeure profondément ancré. Alors que les progrès réalisés par l’Union soviétique avaient pu laisser croire, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’inspirée par le matérialisme dialectique, elle allait rattraper ou même dépasser les États-Unis, la chute du bloc soviétique et le passage à l’économie de marché en Chine ont sonné le glas de cette illusion.
Après la chute de l’URSS, le politologue américain Francis Fukuyama a cru pouvoir annoncer la fin de l’histoire, car seul le système libéral restait en place. L’histoire, elle-même, disparaissait au profit de l’économie. Le monde, libéré du pouvoir politique, allait pouvoir progresser vers toujours plus de complexité et de perfection par auto-organisation, en assurant le bonheur de l’humanité. Les événements intervenus dans le monde depuis la fin du communisme en Union soviétique n’ont pas confirmé une telle prévision. L’histoire se poursuit sans fin, à travers des conflits et des bouleversements multiples, tandis que l’avenir demeure plus incertain que jamais.

La notion d’un progrès continu est ainsi remise en cause. Les terribles égarements dont le XXe siècle a été le témoin ont contribué à discréditer l’idée d’un sens de l’histoire tel que l’envisageait Marx. De ce fait, le concept de progressisme longtemps revendiqué par la gauche est à présent usé.  L’histoire passée montre qu’aucune évolution ne se poursuit indéfiniment et que les orientations suivies fluctuent constamment. Appuyant son analyse sur une étude statistique de l’évolution au cours du temps de différentes formes d’expression dans les domaines de l’architecture, des arts plastiques, de la musique, de la littérature et de la philosophie, le sociologue Pitirim Sorokin a observé un mouvement général d’alternance des périodes de matérialisme et de spiritualité. Ainsi, au sein de la Rome antique, durant la période impériale, une vision matérialiste du monde a succédé à une culture qui était pétrie, au cours des siècles précédents, des vertus de la république romaine.
En 1937, Sorokin entrevoyait déjà une crise majeure de la civilisation matérialiste qui s’était développée en Occident depuis la Renaissance. Cette crise affectait, selon lui, non seulement le système économique, mais aussi l’ensemble de la société.
Dès lors, il appelait à un renouveau spirituel, pour retrouver un nouvel élan. La transition à engager, afin de sortir de la crise dans laquelle le matérialisme enfermait l’Occident, impliquait toutefois le passage par une période difficile, que Sorokin désignait par les termes apocalyptiques de dies irae.

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